À en croire la légende familiale, le grand-père nommé Isaac Reznikoff quitta un jour à pied sa ville natale de Minsk avec cent roubles cousus dans la doublure de sa veste, passa Varsovie puis Berlin, atteignit Ham- bourg et s’embarqua sur l’Impératrice de Chine qui franchit l’Atlantique en essuyant plusieurs tempêtes, puis jeta l’ancre dans le port de New York au tout premier jour du XXe siècle. À Ellis Island, par une de ces bifurcations du destin chères à l’auteur, le nouvel arrivant fut rebaptisé Ferguson. Dès lors, en quatre variations biographiques qui se conjuguent, Paul Auster décline les parcours des quatre possibilités du petit-fils de l’immigrant. Quatre trajectoires pour un seul personnage, quatre répliques de Ferguson qui traversent d’un même mouvement l’histoire américaine des fifties et des sixties. Quatre contemporains de Paul Auster lui-même, dont le “maître de Brooklyn” arpente les existences avec l’irrésistible plaisir de raconter qui fait de lui l’un des plus fameux romanciers de notre temps.
"Combien de vies différentes pourrions-nous avoir, si, si ….Paul Auster décide d’en donner quatre à son héros, et cible ses années de jeunesse et d’apprentissage dans les Etats-Unis des décennies cinquante et soixante.Le grand-père du héros doit son nom à l’employé qui enregistre les immigrés . Venu d’Europe centrale, on lui conseille de prendre un nom américain, Rockfeller...Mais quand il doit le prononcer, il murmure en yiddish ich hab’ vergessen, j’ai oublié, ce qui donne Ichod Ferguson !Le hasard, les circonstances qui font bifurquer les vies présents dès les premières pages.Ce gros roman est en tous points passionnant, le héros nous attache à ses pas dans ses multiples vies.
La description de l’Amérique dans ces années décisives de la croissance économique, de l’assassinat de Kennedy, de la guerre du Vietnam, des conflits raciaux, des mouvements étudiants n’est jamais artificielle car perçu des yeux de Ferguson qui vit intensément tous ces événements.Le tour de force réside dans la narration, non linéaire. Ce n’est pas une vie de Ferguson, puis une autre . Ces destins multiples s’entremêlent sans que le lecteur soit perdu, ni même surpris. Le héros a sa personnalité unique, quelque soit son destin, qu’il réussisse à aimer ou qu’il échoue, qu’il soit un brillant basketteur ou écarté, un étudiant de Princeton ou de Columbia, que ses parents divorcent ou non, qu’il vive ou meure !
La fin qui éclaire le lecteur sur cette étonnante création littéraire est brillantissime.
Qui d’entre nous n’a jamais pensé à ce qu’aurait été sa vie si, au lien de prendre cette rue, nous avions tourné au premier carrefour ? Smoking, no smoking, comme l’avait filmé Resnais.
Alors ne craignez pas les 900 pages, et s’il y a parfois quelques longueurs dans le récit de telle émeute étudiante, c’est qu’Auster revisite sa jeunesse et qu’il ressent, et nous le communique, la nostalgie d’un temps où la passion politique et les idéaux de la jeunesse stimulaient tout un peuple."
AA