Il y a d’abord Gabriel, fils d’un pêcheur de Chéticamp, Nouvelle-Écosse, et d’une mère morte en couches. En 1944, après avoir fui leur village en pleine nuit, Gabriel et son père échouent à Pointe-aux-Trembles, où ils tentent de se refaire une vie. Il y a ensuite Émeline et Xavier, couple maudit ou sacré, qui entreprennent, à l’été 1963, une tournée des villages du Bas-du-Fleuve, un projet étudiant "dont le but est de répertorier et d’enregistrer les contes, les légendes et les chansons qui sont toujours dans la mémoire des gens habitant le Québec rural".
Ailleurs, il y a une petite fille atteinte de la maladie des os de verre, sur le point de mourir, dans un hôpital à Montréal; un écrivain raté qui collectionne les manuscrits refusés; une mère emprisonnée pour le meurtre de sa fille; des soeurs jumelles inséparables; un artiste tailleur de verre et ses deux femmes; et d’autres personnages encore: des âmes brisées, tourmentées, de vieilles femmes esseulées, de pauvres coeurs dont tout le passé tient dans des lettres et des journaux intimes pliés dans de vieilles boîtes de carton. Pendant qu’au Québec, le FLQ pose des bombes dans des boîtes aux lettres, leurs vies sont secouées par des déflagrations aux conséquences désastreuses. Et un peu partout, des gens sans histoire meurent de façon bizarre, mais pas assez pour voir leur nom dans les chroniques des faits divers.
Tous ces destins brisés, Marie Gagnier les assemble comme le tailleur de verre assemble les éclats de couleur, gardant l’image finale bien en tête, mais pour lui seul. Quant à nous, qui assistons au lent, au patient travail, il nous faudra attendre aux dernières pages pour que l’image du vitrail se révèle dans son entier. Et nous éblouisse.
Marie-Claude Fortin